Crédits : Philippe Soldevila, Pierre Guy Blanchard ⋅ Salle de répétition (Le long voyage de Pierre-Guy B.) • Photo : Nicola-Frank Vachon

Crédits : Philippe Soldevila, Pierre Guy Blanchard ⋅ En répétition • Photo : Nicola-Frank Vachon

Parcours créatif

Entretien avec Philippe Soldevila, janvier 2022

Introduction

« Au départ, quand on souhaite se définir comme compagnie, on tente d’identifier le créneau qui nous ressemble le plus. De par mon héritage culturel, celui de fils d’émigrants, il y avait un espace créatif où je pouvais me sentir utile et pertinent : dans cet héritage « étranger » et ce rapport à l’altérité. »

Philippe Soldevila, directeur artistique

Les axes et cycles de création sont une manière de regrouper les différentes productions de la compagnie. Ainsi se dégagent les thématiques artistiques dans lesquelles s’inscrit notre travail. Ces sujets parcourent les créations de Sortie de Secours de manière transversale. Il n’est donc pas rare qu’une pièce se retrouve dans plusieurs axes et cycles de création à la fois.

FICTION BIOGRAPHIQUE – Une identité multiple

FICTION BIOGRAPHIQUE
Une identité multiple

Crédits : Philippe Soldevila, Salle de répétition • Photo : Nicola-Frank Vachon

À cette époque, les recherches artistiques de Sortie de Secours tendaient vers la question identitaire espagnole au sens large. Quelle était cette identité particulière, héritée par Philippe Soldevila, né d’un père valencien (de langue catalane), et d’une mère du nord de l’Espagne (de langue castillane)? Comment la faire sienne autant que la partager?

À cette époque, les recherches artistiques de Sortie de Secours tendaient vers la question identitaire espagnole au sens large. Quelle était cette identité particulière, héritée par Philippe Soldevila, né d’un père valencien (de langue catalane), et d’une mère du nord de l’Espagne (de langue castillane)? Comment la faire sienne autant que la partager?

Avec Le Miel est plus doux que le sang, en 1995, et Anarquista, en 2004, Sortie de Secours a approché ensuite la fiction biographique par l’entremise de la biographie de personnes célèbres. La vie et l’œuvre de figures artistiques, dans la première pièce, et anarchistes, dans la seconde, ont servi de trames narratives à une réflexion sur la fougue des jeunes générations à vouloir faire bouger l’ordre établi.

Avec Le Miel est plus doux que le sang, en 1995, et Anarquista, en 2004, Sortie de Secours a approché ensuite la fiction biographique par l’entremise de la biographie de personnes célèbres. La vie et l’œuvre de figures artistiques, dans la première pièce, et anarchistes, dans la seconde, ont servi de trames narratives à une réflexion sur la fougue des jeunes générations à vouloir faire bouger l’ordre établi.

« Même si je ne m’en suis rendu compte que bien plus tard », se souvient Philippe Soldevila, la rencontre des cultures est présente dans le travail de la compagnie depuis les débuts. Dans Tauromaquia, « le personnage principal était un fils d’immigrants espagnols. Simone Chartrand, [co-autrice du spectacle avec Antoine Laprise] me posait des questions sur mon enfance et sur le choc culturel entre mes racines espagnoles, mon éducation francophone au Québec puis en Espagne dans une école française, puis à nouveau au Québec » pour injecter ce vécu réel dans celui du personnage principal.

« Même si je ne m’en suis rendu compte que bien plus tard », se souvient Philippe Soldevila, la rencontre des cultures est présente dans le travail de la compagnie depuis les débuts. Dans Tauromaquia, « le personnage principal était un fils d’immigrants espagnols. Simone Chartrand, [co-autrice du spectacle avec Antoine Laprise] me posait des questions sur mon enfance et sur le choc culturel entre mes racines espagnoles, mon éducation francophone au Québec puis en Espagne dans une école française, puis à nouveau au Québec » pour injecter ce vécu réel dans celui du personnage principal.

Crédits : Philippe Soldevila, Salle de répétition • Photo : Nicola-Frank Vachon

Grâce à cette recherche, Sortie de Secours a fait découvrir au public l’auteur catalan Pere Calders, à travers Chroniques de la vérité occulte et Conte de la Lune. Avec le Théâtre des Confettis, après avoir créé Conte de la Lune en s’inspirant de l’enfance de son père, brisée par la guerre civile espagnole, Philippe Soldevila a eu l’idée d’écrire une suite. Il a raconté le parcours migratoire qui en a suivi, celui de sa propre famille, déployé sur quatre générations. Ont donc suivi Conte de la Neige puis Conte du Soleil. Les trois pièces ont été présentées séparément de très nombreuses fois en tournée. L’aventure aura culminé avec la Trilogie d’une émigration, présentations intégrales des trois contes, en une seule journée. Cet événement a permis à quelques centaines de jeunes spectateurs et leurs parents de passer une journée entière au théâtre, pour y vivre les questions et émotions liées à ce qu’on laisse derrière soi et ce qu’on trouve là où on arrive.

Le Triptyque acadien

Une écriture à quatre mains

Toutes ces recherches créatives ont révélé un terreau fertile pour développer ensuite le Triptyque acadien. Cette grande aventure a débuté par la rencontre avec le comédien acadien Christian Essiambre afin d’écrire, à quatre mains, la pièce de fiction biographique Les Trois Exils de Christian E. (2010). Elle s’est poursuivie à six mains avec Pierre Guy Blanchard pour Le Long voyage de Pierre-Guy B. (2014) et, enfin, à huit mains avec Luc Leblanc pour L’incroyable légèreté de Luc. L. (2017).

Les questionnements identitaires d’un fils d’émigrant
se projetaient ainsi sur les réalités minoritaires des francophonies canadiennes, et plus précisément
celle de l’Acadie.

 

« Le travail de fiction biographique me permet de me questionner comme être humain, d’échanger avec l’autre et d’ainsi mieux saisir les enjeux qu’on vit tous au quotidien. La fiction biographique se rapproche de tout un mouvement dramaturgique dont le théâtre documentaire fait sans doute aussi partie. Mais pourquoi vouloir rencontrer de vraies personnes et non pas des personnages de fiction? »

« Peut-être qu’aujourd’hui on n’a plus besoin de s’identifier à des héros romantiques hors-norme, on a urgemment besoin de cet autre qui est cruellement absent : l’ami.e, le ou la voisin.e, les membres de la famille avec qui on avait l’habitude, au quotidien, de partager nos doutes et nos souffrances. Est-il possible que cet.te autre (notre semblable), nous soyons aujourd’hui forcés d’aller le ou la rencontrer dans les salles de théâtre, dans les romans qu’on lit? L’art répond aux besoins de notre époque, tant pour ceux et celles qui le consomment que pour ceux et celles qui le produisent. »

« On permet ainsi à de multiples réalités de se rencontrer
et d’aller au-delà des clichés et des superficialités. »

« Le travail de fiction biographique me permet de me questionner comme être humain, d’échanger avec l’autre et d’ainsi mieux saisir les enjeux qu’on vit tous au quotidien. La fiction biographique se rapproche de tout un mouvement dramaturgique dont le théâtre documentaire fait sans doute aussi partie. Mais pourquoi vouloir rencontrer de vraies personnes et non pas des personnages de fiction? »

« Peut-être qu’aujourd’hui on n’a plus besoin de s’identifier à des héros romantiques hors-norme, on a urgemment besoin de cet autre qui est cruellement absent : l’ami.e, le ou la voisin.e, les membres de la famille avec qui on avait l’habitude, au quotidien, de partager nos doutes et nos souffrances. Est-il possible que cet.te autre (notre semblable), nous soyons aujourd’hui forcés d’aller le ou la rencontrer dans les salles de théâtre, dans les romans qu’on lit? L’art répond aux besoins de notre époque, tant pour ceux et celles qui le consomment que pour ceux et celles qui le produisent. »

« On permet ainsi à de multiples réalités de se rencontrer
et d’aller au-delà des clichés et des superficialités. »

Crédits : Philippe Soldevila, Luc Leblanc, Christian Essiambre, Pierre Guy Blanchard • Photos : Nicola-Frank Vachon

« Ces fictions biographiques du Triptyque acadien ont amené une réflexion plus large
sur l’impact d’un récit de vie et la légitimité que cette prise de parole peut apporter. »

« En scrutant la perception du réel des sujets biographiques abordés (moi, puis l’autre), je me suis engagé, en création dans une dynamique de la transformation. Celle du vécu en histoires et, ce faisant, celle de la conversion des soi en personnages. J’ai ainsi exploré la complexe nature des courroies reliant réalité et fiction, personne et personnage. Au fil de cette démarche, aussi, j’ai découvert l’impact des histoires sur la construction identitaire de chacune et chacun des sujets-créateurs : j’ai vu poindre la mouvance, en création et sur scène, d’identités en construction, en déconstruction et en reconstruction. Bref, nous travaillions à transformer et la transformation nous a tous atteints au détour, de l’intérieur. »

Crédits : Éric Leblanc, Philippe Soldevila, Salle de répétition • Photo : Mario Villeneuve

Maria et les vies rêvées

Dans la plus récente pièce de fiction biographique, Maria et les vies rêvées (2019), la réflexion artistique et sociale de Sortie de Secours explore, de façon encore plus précise, la question de la prise de parole sur scène : À qui revient le droit de monter sur scène et d’y exprimer ses interrogations?

 Crédits : Agnès Zacharie et Érika Gagnon • ​Photo : Nicola -Frank Vachon

Crédits : Agnès Zacharie et Érika Gagnon
Photo : Nicola -Frank Vachon

« À travers le travail sur Maria et les vies rêvées, nous avons été interpelés par un questionnement émanant du travail dAugusto Boal [Pédagogue théâtral brésilien et fondateur du théâtre de l’Opprimé]. Selon Boal, il existe une frontière à abolir entre la scène, qui est un lieu de pouvoir, et la salle. Les gens de la salle – les citoyens – doivent pouvoir monter sur la scène. Et c’est un peu ce qu’on faisait à l’intérieur de la pièce : on racontait l’histoire d’une immigrante brésilienne, Marilda Carvalho, qui était interprétée par une comédienne professionnelle sur scène.

Mais il y avait aussi Marilda elle-même, installée dans la salle avec le public, qui se racontait. À la fin de la pièce, elle montait sur scène et reprenait enfin son pouvoir, celui de raconter et incarner elle-même son histoire. 

C’est cette démarche qui m’intéresse : celle d’ouvrir la scène, d’avoir de nouveaux visages, d’entendre de nouvelles histoires, de nouvelles réalités.

Je dis nouvelles, mais elles ne sont pas du tout nouvelles! Elles ne sont simplement pas sur nos scènes. Elles commencent à peine à y voir le jour; mais un grand mouvement est en train de s’opérer dans le théâtre, et ça fait un bien fou de voir de nouvelles énergies, et d’entendre de nouveaux récits issus de réalités minoritaires. »

Sortie de Secours ne fait pas du
théâtre documentaire pour autant.

La partie biographique du travail sert de matériel, de ressources pour l’écriture d’une pièce. Notre façon de jouer avec les paramètres des récits fait en sorte que la fiction prime.

Et du point de vue de la mise en scène, la compagnie croit essentiellement au pouvoir de suggestion de notre art scénique: «le théâtre propose et la ou le spectatrice.eur crée; on suggère des lieux avec les mots et le corps dans l’espace, mais c’est le public qui crée ses images mentales.» C’est vers cette dynamique relationnelle que les mises en scène de la compagnie sont orientées, afin que la notion de partage avec le public reste toujours vivante.

À travers la thématique de la fiction biographique, Sortie de Secours questionne les codes de la représentation théâtrale: À qui appartient l’espace scénique? Comment se traduit l’oralité de la langue? Qu’est-ce qu’on raconte? D’où nait la fiction? Etc. Mais il interroge aussi la fonction sociale du théâtre comme lieu de partage et d’échanges. Et avant tout, il propose un théâtre de l’intime cherchant à trouver une portée universelle.